Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler que les principes relatifs à la « force majeure » évoqués ici ne sont pas d’ordre public et ne font pas l’objet de dispositions impératives. Par conséquent, les parties sont libres d’en modaliser les conditions et les effets.
Les parties qui souhaiteraient invoquer la force majeure ou qui se verraient opposer une telle exception sont donc invitées, en premier lieu, à examiner leur contrat ou leurs conditions générales. Certaines clauses présentes dans les documents contractuels pourraient limiter ou modaliser les possibilités de recourir à cette cause d’exonération.
Rappels des principes en droit des contrats
Les contrats synallagmatiques, c’est-à-dire qui prévoient des obligations dans le chef de plusieurs parties, sont régis par la théorie des risques. Selon celle-ci « si une partie se trouve libérée, définitivement ou temporairement, totalement ou partiellement de son obligation, en raison d’une cause étrangère libératoire, l’autre partie se trouve, par voie de conséquence libérée, dans la même mesure de son obligation réciproque (ou corrélative) »[1].
Lorsqu’une partie à un contrat n’est plus en mesure d’exécuter ses obligations suite à une « cause étrangère libératoire », l’autre partie est également libérée de ses obligations, par voie de conséquence.
Parmi les causes étrangères libératoires se trouve la « force majeure » dont la source est l’article 1148 du Code civil. Il s’agit d’un évènement survenu postérieurement à la conclusion de la convention qui rend impossible l’exécution de l’obligation du débiteur, indépendamment de la faute de ce dernier. Cet évènement doit donc être inévitable, irrésistible et imprévisible ou, si prévisible, en tous cas insurmontable.
Précisons qu’en principe, le débiteur d’une obligation de sommes ne peut pas soulever l’exception de force majeure en application de l’adage « genera non pereunt »[2].
Epidémie de COVID-19
On peut légitimement se demander si l’épidémie de COVID-19 constitue une force majeure au sens du Code civil.
Il n’est pas certain que l’épidémie en elle-même puisse, en tous les cas, être considérée comme telle. En revanche, les conséquences de cette épidémie pourraient a priori être envisagées comme des éléments imprévisibles et insurmontables, et donc, comme des cas de force majeure.
Les différentes mesures prises par le gouvernement belge, telles que les fermetures de certains établissements ou les mesures de distanciation sociale, pourraient être assimilées à ce qu’on appelle « le fait du prince », c’est-à-dire un empêchement résultant d’un ordre ou d’une prohibition émanant de l’autorité publique.
Nous attirons toutefois votre attention sur le fait que les Cours et Tribunaux apprécieront assurément la notion de force majeure au cas par cas.
En effet, si les mesures de confinement s’appliquent de manière générale à tous les citoyens belges, toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Il n’est donc, à notre sens, pas possible d’invoquer l’exception de force majeure dans l’absolu sans être en mesure de justifier concrètement de difficultés particulières propres au cocontractant qui s’en prévaut.
Ainsi, par exemple, l’indépendant qui travaille habituellement seul de chez lui depuis son ordinateur, ne pourra à notre sens pas évoquer « uniquement » la crise du COVID-19 pour justifier d’un retard de livraison dans son travail, sauf à démontrer qu’il a effectivement été personnellement touché par la maladie.
Quelles conséquences en cas de force majeure ?
Si un des cocontractants évoque, à juste titre, la force majeure, l’autre partie n’a pas le droit de demander la poursuite des obligations contractuelles ni une quelconque indemnisation, sous réserve d’une disposition contractuelle contraire.
La force majeure suspend l’exécution de tous les engagements nés du contrat si l’empêchement n’est que temporaire et que le contrat peut encore utilement être exécuté après le délai convenu. En revanche, si la force majeure persiste et que le contrat n’a plus d’intérêt à la fin de l’empêchement, celui-ci est dissout de plein droit.
En conclusion
Si votre cocontractant se met en état d’inexécution et invoque la force majeure, nous ne pouvons que vous conseiller de lui demander de justifier des éléments qui rendent toute exécution impossible dans son chef.
Si ses justifications ne devaient pas être suffisantes, certains palliatifs existent, mais nous vous invitons à en user avec prudence et à consulter un professionnel du droit afin de discuter des différentes options qui s’offrent à vous.
Toutes les difficultés liées à l’exécution des contrats doivent s’analyser en tenant compte du contexte actuel, ce que les Cours et Tribunaux garderont d’ailleurs probablement à l’esprit lorsqu’ils auront à juger des litiges nés en cette période si particulière.
En conclusion, une lecture attentive du contrat et une discussion entre partenaires contractuels permettra parfois d’éviter des tensions inutiles.
[1] C. BIQUET – Droit des obligations et des contrats – Notes en cours de construction – Partim I, La formation et l’exécution du contrat – Année académique 2017-2018 – Presses Universitaires de Liège – p.223
[2] Les choses de genre ne périssent pas.
avocate, Henry &Mersch