Max le bulldog et le droit de propriété ?
Dans un premier temps, les juges semblent avoir abordé la question de la garde de Max le bulldog sous l’angle de la propriété. Ainsi, lorsque Madame a introduit une demande afin de récupérer le chien que Monsieur avait emporté en quittant le logement commun, le juge de paix d’Herzele[1] s’est considéré comme souverain pour déterminer la propriété du chien sur pied de tous les éléments de fait qui lui étaient soumis. Il finit néanmoins par constater que Max le bulldog ne peut être « coupé en deux » et ordonne la réouverture des débats[2].
En 2019, c’est au tour de Pucky d’être sur le devant de la scène et d’être considéré comme un bien indivis. Ses propriétaires l’avaient enregistré à la DOG ID sous leurs deux noms et se disputaient sa garde lors de leur séparation. Le juge de paix[3] conclut que Pucky fait l’objet d’une copropriété volontaire, qui requiert une sortie d’indivision. Cela étant impossible par nature (tout comme Max, Pucky ne pouvait être coupé en deux…), les parties doivent se plier à une garde partagée, le cas échéant ordonnée par jugement. Le juge a donc décidé que le chien vivrait trois mois chez l’un, puis trois mois chez l’autre, et a invité les ex-conjoints à « faire preuve de maturité et de retenue lors du passage du chien de l’un à l’autre ». Le jugement a même dû préciser que chacun viendrait récupérer Pucky au début de sa période de garde pour éviter qu’une excuse quelconque soit utilisée pour ne pas le ramener…
Ces décisions ont bien entendu fait l’objet de commentaires et d’analyses[4].
Évolution récente
Depuis plusieurs années, une nouvelle conception du statut des animaux se développe (un droit des animaux ?).
Au niveau légal, tout d’abord. Le nouvel article 3.39 du Code civil dispose que les animaux sont doués de sensibilité. Ils ne sont désormais plus des biens parmi d’autres (sans pour autant acquérir la personnalité juridique). Il énonce aussi que « les dispositions relatives aux choses corporelles s’appliquent aux animaux, dans le respect des dispositions légales et réglementaires qui les protègent et de l’ordre public ». Il faut aussi citer le récent Code wallon du bien-être animal, plus particulièrement son article D.8.
Du côté jurisprudentiel, dans un arrêt de 2019[5], la Cour d’appel d’Anvers indique que les droits vis-à-vis de deux chihuahuas sont issus des liens affectifs noués avec ces animaux et sont étrangers à tout droit de propriété. Il s’agit d’un droit « sentimental ». Dès lors, le fait de ne pas savoir prouver la propriété ou la copropriété de l’animal n’est pas un obstacle à la demande de garde. Avoir, à une époque, décidé d’accueillir ensemble un animal crée des droits et des obligations. Ainsi, chacun a l’obligation (et le droit) de s’occuper de l’animal, mais doit aussi tolérer que l’ex-partenaire en fasse autant[6].
La Cour de cassation a confirmé cette tendance[7] : « dieren zijn geen zaken »[8] .
La question, liée à la personnalité du magistrat
La sensibilité du magistrat est indissociable des questions liées à la garde de animaux de compagnie. Les décisions rendues varient en fonction de l’inclinaison plus ou moins « animaliste » de ceux qui les prononcent. Il en va de même au sein de la doctrine. Ainsi, une auteure note que les relations personnelles ne peuvent pas être assimilées aux relations avec un bien et que « la relation qui lie un maître à son chien ne pourrait en aucun cas être rapprochée de celle qui lie un parent à son enfant »[9] – cela faisant écho au juge de paix d’Herzele, qui considérait que « la notion d’intérêt du chien appliquée par analogie avec le contentieux en matière familiale n’a pas cours en matière canine ».
S’il n’existe pas en tant que tel d’ « intérêt de l’animal », rien n’empêche que la garde principale ou exclusive de Rex le berger allemand soit accordée à celui des ex-partenaires dont le lieu de vie, par exemple, est de nature à mieux remplir ses besoins (parce qu’il possède une maison plus spacieuse, un jardin, etc).
Mais même sous cet angle, la question de l’intérêt semble difficile à cerner. Un juge a formulé un avis assez personnel sur la question, en réglant le devenir du chien du couple, parmi celui des saucières en argent, de la chaine stéréo et des meubles de la salle à manger. Face à la proposition de garde alternée, le juge note « qu’il ne semble pas souhaitable de forcer cette pauvre bête à changer de cadre de vie tous les 6 mois » et qu’ « un chien n’a souvent qu’un seul maître ». Il estime « préférable que chacune des parties puisse s’investir dans une relation personnelle avec un animal vivant au quotidien avec elle ; » et suggère « à l’une des parties d’acquérir un autre chien avec qui elle pourra nouer une complicité nouvelle qui ne lui rappellera pas sans cesse le passé ». Et le juge d’accorder le chien à Madame, chez qui il est resté depuis la séparation, par pragmatisme[10]/[11].
La garde partagée des animaux n’est bien entendu pas la seule possibilité. Des magistrats ont déjà attribué des droits de visite ou des droits de promenade[12]. Il est arrivé également qu’une pension après divorce soit accordée à titre provisionnel et comprenne les coûts de « pitance » de l’animal autrefois commun[13].
En conclusion
En cas de séparation, il ne faut pas négliger la question de la garde de votre fidèle compagnon… Pour éviter les aléas d’une procédure judiciaire, tentez de vous accorder au mieux malgré la rupture en concluant un accord (avec l’aide de votre conseil ou pourquoi pas, via la médiation ?). Mais que se passera-t-il si votre animal est Poussy le chat, Titi le canari ou bien Saturnin le canard ? Les décisions recensées concernant des chiens, la question reste ouverte…
Avocate.
[1] J.P. Herzele, 30 mars 2016, T.B.B.R. / R.G.D.C., n° 2017/6, pp. 346-348.
[2] Nous ignorons donc toujours avec qui vit Max…
[3] J.P. Forest, 7 mai 2019, Rev. not., 2020, pp. 454-457.
[4] J.P. Forest, 7 mai 2019, Rev. not., 2020, note Daniel STERCKX, « La garde alternée des animaux de compagnie. L’émergence d’un droit sentimental en marge de la réforme du droit des biens », pp. 457-460.
[5] Anvers, 29 avril 2019, T. Not., 2020, pp. 79-83.
[6] La Cour dit ainsi pour droit que l’appelant a droit à un contact avec les deux chihuahuas une semaine tous les deux mois, du vendredi à 19 heures au vendredi suivant à 19 heures. Il doit venir les chercher lui-même puis les ramener, son ancien conjoint se voyant imposer une astreinte en cas de refus de remettre les animaux.
[7] Cass., 18 juin 2020, NjW, 2020, p. 831.
[8] « Les animaux ne sont pas des choses ».
[9] J.P. Forest, 7 mai 2019, Rev. not., 2020, note Daniel STERCKX, op. cit.
[10] Bruxelles (réf.), 28 décembre 1999, Rev. trim. dr. fam., n° 2001/2, pp. 315-317.
[11] Un autre auteur, un peu plus lyrique, note que celui qui a un chien a l’avantage de trouver quelqu’un d’heureux de le voir quand il passe le pas de sa porte et que, surtout en période de rupture, un chien sera toujours là pour écouter, quand plus personne d’autre n’est là pour le faire… (Anvers, 29 avril 2019, T. Not., 2020, note Aloïs VAN DEN BOSSCHE, « De hond in het huishouden », pp. 84-86).
[12] J.P. Herzele, 30 mars 2016, T.B.B.R. / R.G.D.C., n° 2017/6, note Candice ROUSSIEAU, « Le chien de ma moitié ou la moitié de mon chien ? Réflexions sur le sort des animaux de compagnie dans le cadre de la séparation d’un couple », pp. 348-354.
[13] J.P. Grâce-Hollogne, 24 mars 2000, J.L.M.B., n° 2000/40, p. 1753.